Droit de grève et services publics, l'exemple des transports

Publié le par ferc cgt 66


Déjà, le service public doit répondre au quotidien

 

Déclaration préalable, audition de la CGT par la Commission des Affaires économiques, de l’Environnement et du Territoire de l’Assemblée nationale, sur le bilan de l’application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, 11 février 2009.

 

Mesdames, messieurs,

Le gouvernement missionne le Parlement pour produire un bilan de la loi du 21 août 2007. Dans l’exercice de cette tache confiée à votre commission vous nous conviez à contribuer à cette évaluation. Nous constatons que le gouvernement est plus prompt à rechercher une remise en cause du droit de grève qu’à répondre à un fait majeur de société intervenu massivement le 29 janvier.

Cette loi n’est pas la nôtre ! Sa genèse fut motivée, en 2007, par une volonté de légiférer sur des contraintes d’exercice du droit constitutionnel de grève reconnu aux salariés. Et ce dans une loi dépourvue, à l’inverse, de dispositions contraignant les directions d’entreprises, publiques ou privées, à négocier sur les causes des situations conflictuelles permettant d’éviter l’ultime recours par un véritable dialogue social. L’ensemble des organisations syndicales de salariés désapprouvant ce texte a fait valoir qu’il ne répondrait pas aux attentes quotidiennes des usagers, car il contredisait la volonté des partenaires sociaux d’améliorer le dialogue social par la négociation. Nous avions, en l’absence d’obligation de résultat de négociation à leurs égards, attiré l’attention sur l’utilisation des délais de prévenance par les directions d’entreprises pour organiser la résistance à la grève et sa gestion médiatique à des fins de rapport de force externe. Nous y sommes !

C’est ce qui se passe, en lieu et place d’un dialogue social de qualité sur les contenus mis en avant par les salariés. Nous réaffirmons donc, et cette fois à l’aulne de l’expérience faite que, s’agissant des contraintes infligées aux salariés dans l’exercice du droit individuel constitutionnel de grève, cette loi est inutile et contre productive. Nous persistons à contester la remise en cause des conditions d’exercice du droit de grève portée par ce texte.

En revanche, nous voulons croire de la part de votre mission que l’exercice d’un bilan que vous engagez s’effectue plus dans l’esprit de celui prévu par l’article 11 de cette loi, que dans l’intention d’une utilisation douteuse de situations exceptionnelles récentes, par ailleurs chargées d’amalgames et d’influences politiques diverses. Attendu que le rapport appelé par cet article ne porte pas sur les conditions d’exercice du droit de grève nouvellement établies en 2007 et validées par le conseil constitutionnel.

Partant de là, deux enjeux fondamentaux sont, selon nous, à examiner :

Le premier porte avant tout sur la capacité du service public à répondre au quotidien aux besoins des usagers, dont l’urgence d’en finir avec la galère qu’ils vivent, particulièrement en Ile de France. Cela faisait partie des revendications exprimées le 29 janvier.

En 2007, ces usagers par l’intermédiaire de leurs associations ne souhaitaient pas « que soit prise une loi générale et contraignante sur le droit de grève » mais « un plan Marshall de développement des transports publics ». « Avec une grande ambition pour le transport public, les salariés de ce secteur seraient rassurés sur leur avenir et le recours à la grève serait moins fréquent » disaient-ils. A l’exception, ça et là, d’importants effets d’annonces et de quelques initiatives à la marge ; les usagers, comme nous et les salariés concernés, attendent toujours ce plan Marshall. Force est de constater que même le plan de relance économique lié à la crise n’y apporte pas réponse faisant quasiment l’impasse sur des investissements dans le domaine des transports collectifs comme en atteste la loi de finance rectificative 2009 adoptée à ce titre. Convenons, sans esprit provocateur, que la véritable question à aborder n’est pas « la continuité du service public en temps de grève » mais bien « le service public de transport » facteur de réponse aux besoins sociaux et écologiques.

Après avoir, par ailleurs, admis très clairement que le volet sur la définition et l’information par les directions d’entreprises du  plan de transport service minimum, de cette loi « ça marche » ; le Président de la République dans son adresse aux Français au soir du 5 février 2009 ne disait- il pas : « Si les plans de relance ne font pas l’objet de dispositions de justice, les gens se révolteront et ils auront raison ».

C’est le cœur du problème auquel il faut répondre. Ce qui suppose une rupture concrète de l’approche, délaissant le dogme de la libéralisation, du moins disant social et du dumping social pour prendre en compte les vives attentes de régularité, de confort, de fiabilité, de sûreté et de sécurité. Ce qui suppose aussi une responsabilisation sociale des groupes et entreprises sur les territoires, avec dispositions cœrcitives à leurs égards.

Les salariés du secteur, en contact avec les usagers, sont confrontés aux réactions de mécontentement de ces derniers. Les colères exprimées sont le résultat d’une accumulation d’insatisfactions liées aux dysfonctionnements journaliers qui nourrissent aussi, en lien avec les conditions sociales et de travail dégradées, les situations conflictuelles dans les entreprises.

En 2009, la situation reste dominée par 95 % de disfonctionnements pour cause de vétusté et de capacité d’infrastructures, de manques de matériels, de manques de personnels, de manques de financements, d’incidents et d’incivilités aussi. L’actualité récente s’en est fait l’écho (rupture de caténaires, défauts de signalisation, expositions accrues aux risques routiers en ville..).  Une actualité dont il ne saurait échapper par exemple que les cheminots d’aquitaine, avec leurs organisations syndicales CGT, Cfdt, Cftc, Fgaac n’ont pas hésité à faire l’impasse sur l’usage de la grève pour rétablir, au plus vite, les circulations après la tempête, malgré le manque criant de moyens à leur disposition.

Cette situation s’aggrave avec une croissance de l’usage des transports collectifs dont la société ne peut que se féliciter et qu’elle doit soutenir. Avec des mises en œuvre de cadencements et dessertes supplémentaires sans moyens humains et matériels à la hauteur, cela conduit brutalement à une saturation des réseaux et une sur pression sur les salariés.

En janvier de cette année, sur la ligne B du RER francilien, 25 % de retards et d’annulations ont été constatés et près d’un tiers pour la ligne D. La situation prend même une tournure des plus inquiétantes avec la recrudescence conséquente depuis 2007 des atteintes physiques subies par les personnels au contact des usagers, identifiés comme représentants des entreprises, voire de la puissance publique. Invectives, crachats, agressions gratuites ou pour subtiliser les recettes en caisse. Ces fruits d’une fracture sociale profonde deviennent le lot courant dans un mal vivre au travail pour les salariés du secteur qui ne sauraient être pris pour boucs émissaires. Le ratio de ces atteintes physiques et verbales pour les salariés Ratp et UTP par million de voyageurs dépasse les 2,5, il était inférieur à 2 en 2004. Sur l’ensemble des réseaux, Sncf compris, il progresse dans les mêmes proportions.

Ce sont ces causes qu’il faut traiter plus que de rechercher à contenir les réactions et les revendications porteuses de solutions efficaces. Vous l’avez compris, la CGT appelle à la mise en œuvre immédiate d’un plan conséquent de modernisation des infrastructures, des réseaux et des matériels de transport. Ce plan, socialement juste et économiquement efficace en réponse à la crise et ouvrant une perspective lisible et crédible pour les usagers, doit s’accompagner d’une négociation rapide sans tabou sur les moyens en effectifs à consacrer pour reconquérir un service public de transport de qualité. Il doit également s’accompagner de mesures efficaces de prévention et d’insertion sociale pour remédier aux incivilités. C’est à ce prix là que peuvent être regagnées confiance et sérénité des usagers et des salariés sur leur avenir.

Le second enjeu consiste à améliorer le dialogue social. Autant le dire, il importe de le déverrouiller. C’est là une deuxième grosse perversion de la loi de 2007, comme nous l’avions démontré.

En 2007, nous avions proposé, à la demande du ministre du Travail, des amendements à ce volet de la loi. Aucun d’entre eux n’a été retenu ni par le gouvernement, ni dans le processus de débat parlementaire qui a conduit à l’adoption.

Nous restons totalement disposés pour faire évoluer ce chapitre. Si des dispositions sont nécessaires et même urgentes, selon nous, pour faire évoluer positivement cette loi ; elles résident particulièrement sur les points suivants :

*      intégrer des obligations contraignantes et impératives de négociation à l’adresse des directions d’entreprises sur le contenu et sur les réels motifs des situations conflictuelles. Il s’agit d’instaurer une obligation de résultat de négociation pour les directions d’entreprises, qui doivent en apporter la preuve et donc contraindre à un véritable dialogue social. Ce dernier ne peut se réduire à des contenus uniquement définis par les stratégies économiques de l’entreprise, ni à rechercher l’adhésion des salariés à des orientations prédéfinies ;

*      avancer vers la validation des dispositions négociées sur la règle des accords majoritaires. De ce point de vue, la loi du 20 août 2008 ouvre une perspective mais reste encore en deçà, d’autant que les contournement ne sont pas exception dans la période et jusqu’au plus haut niveau. La loi donne d’ailleurs lieu à une recherche de façonnage du paysage syndical par les directions d’entreprise ;

*      créer un espace de concertation tripartite entre les autorités organisatrices, les entreprises exploitantes et les organisations syndicales de salariés, avec obligation de le réunir avant toute conclusion ou révision de contrat. Il doit avoir pour objectif d’examiner la faisabilité des dispositions dudit contrat, son niveau de service envisagé et sa rémunération, avec les conditions de travail, le niveau d’emploi et les conditions sociales des salariés.

Ces trois amendements, parmi d’autres que nous avions fait valoir en 2007, posent aussi la question des moyens pour les représentants des salariés. Ils interpellent particulièrement, vous en conviendrez, au vu de l’expérience des situations conflictuelles localisées qui ont marqué sérieusement l’actualité récente, au point d’exacerber à nouveau les tensions sur le droit de grève comme élément de diversion.

Notre volonté première est de produire un service public de qualité 365 jours sur 365 et de solutionner les revendications légitimes des salariés, souvent convergentes avec celles des usagers, en évitant autant que possible le recours à la grève. Et lorsqu’elle devient inévitable, poursuivre un dialogue mis en qualité en limitant, au maximum, les conséquences sur les usagers. Le but est la prise en compte des revendications, pas la gêne aux usagers. De ce point de vue il revient aux directions d’Entreprise d’organiser les plans de transports avec les salariés non grévistes et elles en ont, la plupart du temps, parfaitement les moyens. Leur réelle volonté n’est pas toujours avérée. Il apparaît même qu’elle laisse place à de basses manœuvres livrant les grévistes à une certaine forme de vindicte pour rechercher un soutien de l’opinion publique et des usagers. Ce jeu est contre-productif et dangereux, a l’évidence la loi de 2007 en a accentué l’usage.

Autant sur l’obligation de négocier, évoquée précédemment, que sur les moyens désormais à disposition des entreprises pour établir et informer du plan de transport, ou encore sur le respect de la légalité dans l’exercice du droit de grève ; le récent jugement du TGI de Marseille (4 février 2009), déboutant la Sncf, ne dit pas autre chose en faisant valoir que : « La situation actuelle (celle du conflit de Nice incriminé) est moins due à la désorganisation née de leur action (celle des salariés) que de l’inorganisation de l’entreprise ».

Vous l’avez compris, le droit constitutionnel de grève reste, pour la CGT, non négociable. Rien ne justifie un durcissement des conditions de son exercice qui, par ailleurs, ne ferait que signer une volonté de diversion des enjeux réellement posés et ne manquerait pas d’être analysé comme une tentative de cadenasser les expressions sociales qui montent en puissance.

Publié dans Actualité Nationale

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